Les smartphones diffusent déjà les prévisions météorologiques. Ils pourraient aussi aider à les élaborer : on peut effectuer un relevé précis des précipitations grâce aux perturbations des réseaux de téléphonie mobile. Une équipe de chercheurs néerlandais vient d'en faire la démonstration à l'échelle des Pays-Bas, dans une étude publiée, lundi 4 février, par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.
La pluie absorbe et disperse le signal relayé par les antennes de téléphone. Une distortion qui, une fois analysée et compilée, donne une image des passages pluvieux aussi fidèle que les radars et les pluviomètres habituellement utilisés par les services de météorologie.
Le principe de ces mesures avait été exposé dans un article publié par Science en 2006. Aart Overeem, Hidde Leijnse et Remko Uijlenhoet, chercheurs au département des sciences environnementales de l'université Wageningen et à l'Institut royal de météorologie des Pays-Bas, ont fait la première démonstration à grande échelle de la validité du modèle.
LE NOMBRE DE PLUVIOMÈTRES A CHUTÉ
Les scientifiques se sont procurés pour cela les relevés de 2 400 signaux émis toutes les quinze minutes entre des antennes relais du pays, sur deux périodes de douze jours chacune en 2011. Analysant la manière dont variait la force des signaux ainsi émis, ils en ont déduit la quantité de pluie qui tombait à chaque moment entre deux mats d'antennes. Le résultat s'est révélé conforme aux cartes dressés grâce aux radars météorologiques et aux relevés pluviométriques.
"Nous avons montré qu'il était possible de véritablement mesurer les précipitations, d'identifier des averses précises et comment elles se déplacent à travers un pays", souligne Aart Overeem. Pour les auteurs, cette démonstration est d'autant plus importante que le nombre de pluviomètres a chuté de moitié en quelques décennies aussi bien en Europe qu'en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud.
"Des relevés de précipitations précis et rapides sont cruciaux pour la gestion de la ressource en eau, l'agriculture, la prédiction météorologique... Pourtant, la majorité de la surface terrestre manque de pareilles données", observent les auteurs.
MESURER L'INTENSITÉ DES PLUIES SUR TOUTE LA PLANÈTE
A l'inverse, les réseaux de téléphonie mobile couvrent 90 % de la population mondiale. Et tous les opérateurs utilisent des réseaux de technologie identique. Cela permettrait théoriquement, avec un seul et unique algorithme, de mesurer l'intensité des pluies sur toute la planète, même si, selon les auteurs, "les paramètres de l'algorithme de calcul des précipitations devraient être recalibrés pour des précipitations de différentes caractéristiques, pour d'autres régions, climats et saisons".
Une nuit de 1989, une caméra testée
par l’équipe de John Winckler,
de l’Université du Minnesota,
aux États-Unis, enregistre un mystérieux
flash lumineux à haute altitude dans
l’atmosphère, au-dessus d’un orage. L’idée
que ce flash puisse être produit par l’orage
entraîne un nouvel examen d’images
d’orages prises depuis la navette spatiale
américaine : plusieurs montrent des
flashs lumineux similaires, surgissant
au sommet des nuages illuminés par les
éclairs. En 1993, une caméra embarquée
à bord d’un avion par l’équipe de Davis
Sentman, de l’Université d’Alaska, prend
la première photo en couleurs d’un « sylphe
» rouge (sprite en anglais, nom donné
par D. Sentman pour évoquer l’étrangeté
du phénomène sans suggérer de
mécanisme physique a priori) – un jet de
lumière rouge qui s’étend du sommet des
nuages à la base de l’ionosphère, à une
centaine de kilomètres d’altitude. Cette
découverte marque le début d’une chasse
internationale aux sylphes, mettant en
oeuvre de nombreuses expériences dans
les différentes parties du monde.
La chasse s’est révélée fructueuse. En
une dizaine d’années, les émissions lumineuses
variées détectées au-dessus des zones
orageuses – rassemblées sous le nom d’événements
lumineux transitoires (TLE) – ont
modifié notablement notre compréhension
des orages atmosphériques et des échanges
énergétiques transitoires entre les couches
atmosphériques.
Par ailleurs, des satellites d’astronomie
ont mesuré des émissions de rayons
gamma – des flashs gamma d’origine
terrestre (TGF) – atteignant 30 mégaélectronvolts,
soit des énergies comparables à
celles des émissions gamma d’origine
solaire. De telles énergies, qui n’étaient pas
attendues dans l’atmosphère terrestre, ont
bouleversé notre compréhension des
orages atmosphériques. À partir de 2007,
les mesures du satellite AGILE ont même
révélé de nombreux photons à des énergies
atteignant 100 mégaélectronvolts
– une énergie qui remet en cause les mécanismes
envisagés jusqu’alors.
Que sont les événements lumineux
transitoires et les flashs gamma d’origine
terrestre ? Comment sont produites ces émissions ? Que nous enseignent-elles
sur les échanges d’énergie dans l’atmosphère
supérieure? Telles sont les questions
que nous allons examiner ici.
Jusqu’en 1989, on pensait que les seules
manifestations lumineuses des orages
étaient les éclairs, des décharges électriques
se produisant entre deux nuages ou entre
un nuage et le sol, selon un mécanisme qui
commence à être bien compris: la base du
nuage orageux se charge négativement, tandis
que, par influence électrostatique, des
charges positives s’accumulent au sol. La
base du nuage et le sol constituent ainsi un
condensateur géant. Par le jeu des instabilités
atmosphériques, les charges à la base
du nuage peuvent former, en se déplaçant,
des champs électriques supérieurs au seuil
de claquage de l’air, le champ au-delà duquel
l’air perd ses propriétés isolantes et devient
conducteur. L’air peut alors s’ioniser et une
décharge s’amorce, formant un canal d’air
ionisé. Lorsque celui-ci atteint le sol, une
impulsion de courant le parcourt, échauffant
l’air jusqu’à 30000 °C, ce qui produit la
lumière de l’éclair.
Les premières observations de sylphes
ont suscité un élan extraordinaire de la
communauté scientifique internationale.
Il est vite apparu que des caméras placées
dans les zones montagneuses pouvaient
enregistrer les sylphes à des distances de
plusieurs centaines de kilomètres au-dessus
des zones orageuses pendant la nuit. De nombreux sylphes et d’autres phénomènes
lumineux ont été observés par
l’équipe américaine de Walter Lyons, qui
effectuait chaque année des campagnes
d’observation des orages dans les hautes
plaines du Colorado. D’autres observations
effectuées au Japon, en Australie, au Brésil,
en Chine ont montré que ces phénomènes
se produisent au-dessus de la plupart
des systèmes orageux de grande taille et
sont plus fréquents qu’on ne l’avait imaginé.
Ainsi, plus de 400 sylphes en une nuit
ont été observés au-dessus d’un orage en
Argentine. En 2000, nous avons effectué les
premières observations en Europe à partir
du pic du Midi. Plus récemment, des observations
ont été faites depuis le Massif central,
les montagnes corses, l’Italie, l’Espagne
et plusieurs pays d’Europe centrale.
Ces observations ont mis en évidence
une variété importante de phénomènes lumineux au-dessus des orages. Les sylphes
durent quelques millisecondes et s’étendent
de 30 kilomètres au dessus des nuages
jusqu’à 90 kilomètres d’altitude environ. Ils
apparaissent souvent en groupes. Certains
ont une forme de carotte : un halo
diffus, entre 70 et 85 kilomètres d’altitude,
s’étend latéralement sur une distance de
l’ordre de 40 à 70 kilomètres et se prolonge
vers le bas par des structures en filaments.
D’autres forment des colonnes qui semblent
parfois se grouper en cercles. Les sylphes
apparaissent généralement après les éclairs
dits positifs – des éclairs qui, en fin d’orage,
conduisent vers le sol des charges positives.
Les halos peuvent aussi apparaître seuls.
Les sylphes ne sont pas seulement lumineux.
Notre équipe a montré en reliant
des enregistrements acoustiques à des images
de sylphes que ces derniers s’accompagnent
d’ondes acoustiques de basses
fréquences – des infrasons –, parfois pendant
plusieurs dizaines de secondes. Très
longs par rapport à la durée d’émission
lumineuse des sylphes (quelques millisecondes),
ces temps correspondent à celui
que met le son pour parcourir l’étendue
horizontale des sylphes (la vitesse du son
est d’environ 330 mètres par seconde). Ces
infrasons sont plus longs que les sons émis
par les éclairs, qui ne durent que quelques
secondes. Ils sont cependant produits selon
le même principe: tout le long de la décharge
qui forme les filaments des sylphes, l’air
s’échauffe (de un ou deux degrés seulement,
mais dans un volume énorme – une dizaine
de milliers de kilomètres cubes) et, par conséquent,
se dilate, ce qui produit des ondes
de choc. Nous avons détecté les infrasons
des sylphes jusqu’à des distances de l’ordre
de 1 000 kilomètres, tandis que les
sons produits par les éclairs (le tonnerre),
de fréquences supérieures, ne sont audibles
que jusqu’à 50 kilomètres environ.
D’autres phénomènes lumineux ont
été observés à diverses altitudes. Les elfes
sont des disques lumineux qui s’étendent
horizontalement sur plusieurs centaines
de kilomètres à des altitudes de
l’ordre de 90 kilomètres et à une vitesse
proche de celle de la lumière. Plus nombreux
que les sylphes, les elfes apparaissent
après tous les types d’éclairs. Ils
éclairent moins d’une milliseconde.
Les jets bleus surgissent au sommet des
nuages sous la forme de cônes étroits durant
environ 100 millisecondes. La plupart s’arrêtent
à 40 kilomètres d’altitude environ,
mais certains jets, dits géants, forment
une connexion électrique directe entre le
nuage de l’orage et la base de l’ionosphère.Toutes ces émissions n’agissent pas de la
même façon sur l’atmosphère, ce qui renseigne
sur leurs propriétés énergétiques :
les filaments des sylphes et les jets géants
échauffent, voire ionisent l’atmosphère
qu’ils traversent, les elfes ionisent, la
base de l’ionosphère lors de leur formation,
tandis que les halos restent sans effet.
Ces derniers sont donc des émissions lumineuses
moins énergétiques.
Les sylphes, les jets et les elfes sont les
structures les plus fréquemment observées
– et les plus faciles à voir, car elles sont suffisamment
éloignées des nuages orageux
pour ne pas être masquées par la lumière
des éclairs. Des systèmes semi-automatiques
peuvent ainsi en enregistrer à plusieurs
centaines de kilomètres à l’horizon.
Toutefois, il existe aussi d’autres émissions
de plus petite taille dans la partie inférieure
des filaments des sylphes et au sommet
des nuages. Nommées gnomes, trolls ou
lutins, ces émissions ne peuvent faire
l’objet d’une observation systématique du
fait de leur proximité des orages.
En analysant les caractéristiques des
différentes émissions (altitude, durée, spectre,
forme, etc.), diverses équipes, dont la
nôtre, commencent à élucider certains
mécanismes intervenant dans leur formation.
Les elfes font partie des phénomènes
les mieux compris. Ils se produisent
après tous les éclairs dépassant un certain
seuil énergétique. Ces éclairs engendrent
une impulsion électromagnétique
très intense qui se propage jusqu’à l’ionosphère
et chauffe les électrons ambiants de
l’ionosphère inférieure. Accélérés par ce
chauffage, les électrons acquièrent une énergie
cinétique suffisante pour interagir avec
les molécules de l’air, ce qui produit une
émission lumineuse et une ionisation locale
de l’atmosphère : chaque molécule d’air
ionisée produit un ou deux électrons, qui
ionisent à leur tour les molécules d’air voisines,
etc. Cette ionisation locale de l’atmosphère
persiste pendant plusieurs
dizaines de secondes.
La forme des elfes – un disque de
lumière qui s’élargit – est sans doute due
au fait que, les molécules d’air se raréfiant
dans les couches supérieures de l’ionosphère,
les réactions de proche en proche
entre les électrons et les molécules de l’air
restent principalement cantonnées dans la
couche inférieure de l’ionosphère.
Les jets s’expliquent seulement par la
présence des champs électrostatiques de
l’orage. Les jets géants peuvent être comparés
à des décharges reliant directement
le nuage et l’ionosphère au lieu du sol
comme on le voit pour un éclair classique.
Les sylphes, quant à eux, ne se produisent
qu’après les éclairs positifs. Ces éclairs apparaissent à la fin de gros orages : partant
de la région supérieure du nuage,
chargée positivement, des particules positives
sont attirées par une région du sol
chargée négativement. Après un éclair
positif, des charges négatives persistent
dans le nuage. Ces charges produisent
un champ électrique transitoire à des
altitudes supérieures à celle du nuage.
Ce champ électrique pourrait être responsable
de l’apparition des halos, la partie
supérieure des sylphes. Voyons comment.
Lorsque le champ électrique des orages
pénètre dans les couches supérieures
de l’atmosphère, il diminue avec
l’altitude, mais moins vite que le seuil
de claquage de l’air. Ainsi, à une certaine
altitude (environ 70 kilomètres) qui
dépend de divers facteurs, notamment
l’humidité de l’air, le champ électrique
engendré par l’orage dépasse le seuil de
claquage de l’air. L’air à cette altitude
devient conducteur, et le champ électrique
de l’orage y produit des courants
qui l’échauffent – des décharges –, entraînant
des émissions lumineuses. Pour la
majorité des sylphes, on a ainsi mesuré
des variations du moment de charge (une
grandeur qui rend compte à la fois de la
charge neutralisée dans le nuage et de la
hauteur de la décharge) supérieures à
300 coulombs.kilomètres, que l’on ne rencontre
que pour les éclairs les plus puissants.
Ces courants confirment que la formation
des sylphes est liée à des modifications
importantes de la conductivité
dans l’atmosphère moyenne et supérieure.
Les sylphes sont souvent observés
plusieurs dizaines de millisecondes après
l’éclair positif, car il s’effectue souvent un
transfert de charges sur des distances importantes
à l’intérieur du nuage. Les sylphes
sont ainsi la plupart du temps décalés
latéralement de plusieurs kilomètres de
l’éclair positif qui les a déclenchés. Dès les années 1920, le physicien écossais
et prix Nobel Charles Wilson avait prédit
que les électrons pouvaient être suffisamment
accélérés au-dessus des orages pour
dépasser le seuil de claquage de l’air et provoquer
de tels phénomènes. Toutefois, aux
altitudes inférieures à 70 kilomètres, notamment
aux altitudes des nuages (4-15 kilomètres),
c’est loin d’être le cas. Les champs
électriques ne sont pas suffisants pour
atteindre le seuil de claquage conventionnel.
Par exemple, les champs électriques
mesurés par ballon dans les nuages
par Robert Marshall, de l’Université Stanford
aux États-Unis, atteignent 100 à
200 kilovolts par mètre alors que le seuil
de claquage conventionnel dépasse un
mégavolt par mètre à l’altitude des nuages.
Comment, alors, expliquer la partie
inférieure des sylphes ?
En 1996, Robert Roussel-Dupré, du
Laboratoire de Los Alamos, aux États-
Unis, et Alexander Gurevich, de l’Institut de
physique de Moscou, ont proposé d’expliquer
ces phénomènes par une avalanche
d’électrons dits relativistes, c’est-à-dire très
énergétiques. Au-dessus d’un seuil de l’ordre
de 100 kiloélectronvolts, les électrons
gagnent plus d’énergie via le champ électrique
des orages qu’ils n’en perdent par
interaction avec l’air. Ces électrons sont alors
accélérés vers le haut par le champ électrique
intense de l’orage. Ils arrachent des électrons
aux molécules d’air, qui eux-mêmes
sont accélérés, entrent en interaction avec
d’autres molécules d’air et produisent une
avalanche d’électrons de haute énergie.
Pour provoquer la formation de décharges,
ce mécanisme nécessite un champ électrique
dix fois moins intense que le seuil de
claquage de l’air sec – une valeur compatible
avec celle des champs mesurés lors
des orages – à condition que des électrons
atteignent des énergies suffisantes pour
déclencher l’avalanche! En fait, un seul électron
de haute énergie est suffisant pour
amorcer ce mécanisme. Un tel électron pourrait
être produit par la collision d’un rayon
cosmique avec les molécules de l’air. Ces
particules de haute énergie, provenant notamment du Soleil, bombardent en permanence
l’atmosphère terrestre.
Par ailleurs, la théorie montre qu’une
telle avalanche d’électrons ne s’arrête
pas dans l’atmosphère supérieure. Les électrons
sont accélérés vers le haut jusqu’à
l’ionosphère et la magnétosphère, où ils
se propagent en suivant les lignes du
champ magnétique terrestre. Ils peuvent
ainsi se propager jusqu’au point magnétique
conjugué de celui de l’orage (l’autre
bout de la ligne du champ magnétique),
situé dans l’autre hémisphère de la Terre.
De fait, on détecte parfois des émissions
au point magnétique conjugué des orages
(nous y reviendrons).
Ce mécanisme n’est pas restreint à l’atmosphère
terrestre; il pourrait se produire
sur d’autres planètes. Les structures lumineuses
transitoires en forme de lignes droites
parfois observées dans les anneaux
de Saturne pourraient être dues à de telles
avalanches, déclenchées lorsque les
anneaux sont magnétiquement liés aux
zones orageuses. Une autre planète candidate
est Jupiter, où des émissions radio
produites par les éclairs ont été détectées
ainsi que des flashs lumineux. Aujourd’hui, des observations plus précises
des sylphes à l’aide de caméras ultrarapides
permettent de préciser ce modèle.
En 2007, les séquences enregistrées à la
cadence de 10000 images par seconde par
l’équipe de Hans Stenbaeck Nielsen, de
l’Université d’Alaska, ont montré que
les sylphes sont engendrés par des structures
complexes qui se forment à 75 kilomètres
environ. Des perles lumineuses
apparaissent et tombent à une vitesse de
10 000 kilomètres par seconde, laissant
chacune une traînée lumineuse – un filament
vertical qui se développe vers le bas.
Ces structures sont suivies d’autres filaments
partant vers le haut et dont la forme
est plus diffuse. Ces perles sont la manifestation
d’une ionisation plus intense à
la tête des filaments. Quand on cumule
ces images afin de revenir à la cadence
vidéo plus lente des premières observations,
on retrouve la partie supérieure diffuse
et les filaments qui en émergent
vers le bas en donnant aux sylphes la
forme de carottes.
Ces filaments sont des canaux de
plasma, c’est-à-dire de gaz ionisé, qui se propagent dans l’atmosphère non ionisée
sous l’effet des champs électriques
intenses produits par l’éclair parent. Le
champ électrique à leur tête s’intensifie,
comme cela peut être obtenu dans les
décharges en laboratoire. Ils peuvent alors
produire des branches formant la structure
des sylphes.
Pour le moment, aucune théorie n’est
capable d’expliquer la diversité des phénomènes
lumineux. La théorie de l’avalanche,
notamment, n’explique pas la
formation de filaments vers le bas. Néanmoins,
elle fournit des explications tout à
fait plausibles d’autres phénomènes, telles
certaines émissions radio détectées
jusqu’à des distances de plusieurs centaines
de kilomètres de la zone orageuse
ou, nous allons le voir, l’émission de certains
flashs gamma d’origine terrestre.
Les flashs gamma d’origine terrestre ont
été détectés par hasard en 1994, par un satellite
dédié à la mesure des rayons gamma
dans l’espace, le satellite CGRO (Compton
Gamma-Ray Observatory). À l’époque, seuls
76 événements de ce type ont été mesurés
pendant les neuf ans de la mission, mais
l’enregistrement des flashs gamma d’origine
terrestre n’était pas l’objectif premier
du module expérimental du satellite, l’instrument
BATSE (Burst and Transient Source
Experiment). Lancé en 2002, le satellite RHESSI
(Reuven Ramaty High Energy Solar Spectroscopic
Imager), destiné à des observations
solaires, en a détecté beaucoup plus : il a
mesuré 10 à 20 flashs gamma d’origine
terrestre par mois. Leur spectre en énergie
peut atteindre 30 mégaélectronvolts.
À leur découverte, les flashs gamma
d’origine terrestre ont été naturellement
reliés aux événements lumineux transitoires
et il a été suggéré que les rayons gamma
pourraient résulter de l’interaction, avec
l’atmosphère, de particules de haute énergie
de l’avalanche invoquée pour expliquer
les sylphes.
Cependant, plusieurs énigmes subsistaient.
Tout d’abord, l’altitude à laquelle
les flashs gamma d’origine terrestre se produisent
reste mystérieuse. Plusieurs études
du spectre énergétique des flashs
gamma d’origine terrestre enregistrés par
le satellite RHESSI, complétées de simulations,
ont suggéré qu’ils avaient été produits
dans la partie supérieure des nuages,
soit à des altitudes inférieures à 20 kilomètres
environ, et non à l’altitude où apparaissent
les sylphes. En effet, les basses
énergies du spectre des flashs gamma
d’origine terrestre sont atténuées, signe
qu’elles ont été absorbées avant leur détection
par le satellite, c’est-à-dire lors de leur
passage dans l’atmosphère (à l’inverse, les
basses énergies de rayons gamma émis à
une altitude supérieure à 20 ou 30 kilomètres
ne seraient pas atténuées, l’atmosphère
étant plus ténue). Les flashs gamma d’origine terrestre pourraient
donc être produits par les éclairs et
les décharges qui surviennent au sommet
ou au-dessus des nuages plutôt que par
les sylphes eux-mêmes. Ce que corrobore
une expérience réalisée par l’équipe de
Joseph Dwyer, de l’Institut de technologie
de Floride: les physiciens ont produit des
flashs gamma en déclenchant artificiellement
des éclairs. Le mécanisme de l’avalanche
pourrait expliquer la formation de
tels flashs gamma au sommet des nuages.
Les observations confirment également
qu’il se produit des effets au point
magnétique conjugué des orages – un des
effets attendus avec le modèle de l’avalanche.
Un flash gamma d’origine terrestre
a été observé par le satellite RHESSI au-dessus
du Sahara. Ce flash gamma – le plus
long et le plus intense jamais détecté – a
été observé alors qu’il n’y avait pas d’orage
au Sahara, mais qu’un orage se produisait…
au point magnétique conjugué. Des
électrons se seraient propagés le long des
lignes du champ magnétique et auraient
frappé le satellite. Une nouvelle analyse
des données de RHESSI a révélé d’autres
événements de ce type, et plusieurs flashs
gamma d’origine terrestre observés par le
satellite CGROpourraient aussi entrer dans
cette catégorie. Il existerait ainsi deux classes
de flashs gamma d’origine terrestre :
les premiers, brefs et nombreux, seraient
directement émis au-dessus des orages
(par les éclairs ou par les sylphes) tandis
que les seconds, plus longs et plus intenses,
seraient produits par des électrons qui
se seraient propagés le long des lignes
du champ magnétique terrestre.
Et pour brouiller encore les pistes, des
observations au sol effectuées lors des
orages japonais d’hiver ont révélé que des
émissions gamma ont été produites à la
base des nuages orageux pendant plusieurs
dizaines de secondes sans qu’il n’y ait eu
d’éclair préalable. Les simulations indiquent
que le mécanisme d’avalanche serait
la cause de ces émissions.
Et ce n’est pas tout ! En janvier 2011,
le satellite italien AGILE a détecté, lors de
certains flashs gamma d’origine terrestre,
des énergies atteignant 100 mégaélectronvolts
– des énergies trop hautes pour être
expliquées par le modèle d’avalanche
d’électrons. Comment ces rayons gamma
apparaissent-ils? Les récentes simulations
de Victor Pasko, de l’Université de Pennsylvanie,
fournissent une nouvelle explication.
Le physicien a montré qu’il se
produit des accélérations très importantes
d’électrons à la tête des filaments qui forment
la structure des sylphes. Ces électrons
auraient une énergie cinétique suffisante
(ils peuvent être accélérés jusqu’à des énergies
de l’ordre de dix mégaélectronvolts)pour déclencher des flashs gamma de haute
énergie. De tels processus pourraient être
des sources alternatives des flashs gamma
d’origine terrestre observés pendant les
orages, qu’ils soient déclenchés dans les
filaments ionisés des sylphes ou dans les
éclairs. Reste à le vérifier… et à comprendre
comment des électrons atteignent de
telles énergies.
Enfin, toujours en janvier 2011, le télescope
spatial de rayonnement gamma Fermi
a détecté des flashs gamma d’origine terrestre
de 511 kiloélectronvolts – une énergie
qui correspond très exactement à
celle des photons produits lors de la collision
et l’annihilation d’un électron et de
son antiparticule, le positron. Cette découverte
suggère que les orages engendrent
la formation… d’antiparticules. L’avalanche
d’électrons émet tellement de flashs
gamma lors des collisions avec les molécules
de l’air que suffisamment de paires
électron-positron sont produites lors de
l’interaction des rayons gamma avec les
molécules de l’air pour que leur signature
– le rayon gamma fruit de leur annihilation
– soit détectée par le satellite.
Jusqu’à présent, tant pour l’étude
des événements lumineux transitoires que
pour celle des flashs gamma d’origine terrestre,
on s’est contenté de données partielles
– des observations d’un aspect
particulier, parfois au détour d’une expérience
visant d’autres objectifs. Pour mieux
comprendre les mécanismes en jeu, notre
équipe a proposé, dès 1998, d’effectuer des
observations simultanées, depuis l’espace,
de l’ensemble des émissions, ce qui représente
un défi, car, vus de l’espace, les sylphes
se superposent aux éclairs d’orage
qui saturent les caméras.
La première expérience d’observation
de sylphes par satellite, lancée en 2004
pour cinq ans, était limitée à des observations
optiques à l’horizon. Placée à bord
du satellite taïwanais FORMOSAT 2, ISUAL
a détecté de nombreux elfes, sylphes, halos
et jets géants, dont la distribution géographique
a été établie.
Les elfes ont été principalement
observés au-dessus des océans
dont la température dépasse 26 °C, alors
que les sylphes se produisent plutôt audessus
des continents. La formation des
elfes serait favorisée par la température
élevée de certaines zones océaniques: cette
température provoque des phénomènes
de convection verticale qui favorisent les
éclairs intenses, lesquels entraînent à leur
tour la formation des elfes.
Le projet TARANIS du programme
Myriade du CNES, proposé par des équipes
du CNRS et la nôtre, a pour objectif la
mesure simultanée des flashs gamma d’origine
terrestre, des événements lumineux
transitoires, des émissions radio et des électrons
de haute énergie à partir du même
microsatellite. Nous pourrons ainsi, d’une
part, décrire les mécanismes de déclenchement
et, d’autre part, déterminer leur fréquence
et leur impact sur l’environnement
terrestre. Ces mesures doivent être effectuées
depuis l’espace, car l’atténuation des
flashs gamma d’origine terrestre dans l’atmosphère
les rend difficilement observables
du sol. Pour surmonter la difficulté d’observer les
sylphes au-dessus des orages, nous avons
proposé d’utiliser deux caméras, filmant
l’une les éclairs à une fréquence correspondant
à une raie d’émission des éclairs
et l’autre les sylphes à une fréquence correspondant
à une raie d’émission des
sylphes. Il n’est pas possible de séparer les
raies d’émission des sylphes et des éclairs,
car elles sont produites par les mêmes
molécules (l’azote et l’oxygène de l’atmosphère).
Néanmoins, on peut les distinguer
en observant les sylphes dans une raie
d’émission (environ 762 nanomètres) correspondant
à une bande d’absorption de
l’atmosphère due au dioxygène. Dans cette
raie, les émissions des éclairs sont davantage
absorbées que celles des sylphes qui
se produisent à plus haute altitude (où il
y a moins d’oxygène).
En utilisant deux
caméras, l’une qui se trouve dans cette
bande et une autre qui privilégie les éclairs,
il est possible de séparer, par traitement
au sol, la réponse des sylphes de celle
des éclairs. Ce procédé a été validé par
l’expérience LSO (Lightning and Sprite Observations),
pilotée dans les années 2001 à 2004
par Claudie Haigneré et d’autres astronautes
de l’Agence spatiale européenne
sur la Station spatiale internationale.
Actuellement en construction, le satellite
TARANIS doit être lancé en 2015. Sa charge
utile inclut des instruments optiques, des
détecteurs d’électrons de haute énergie, des
antennes électriques et magnétiques couvrant
une gamme de fréquences très étendue
et trois détecteurs de rayons X et gamma.
Bénéficiant d’un mode d’observation des
événements transitoires à haute résolution
et d’un mode de surveillance fonctionnant
en continu, TARANIS pourra caractériser l’ensemble
des phénomènes à toutes les échelles
temporelles possibles.
D’autres projets spatiaux, également
en phase de construction, ont des objectifs
similaires : le projet ASIM vise à observer
les flashs gamma d’origine terrestre et
les événements lumineux transitoires sur
la Station spatiale internationale en liaison
avec les paramètres climatiques, tandis
que le projet GLIMS, également depuis
la Station spatiale internationale, dispose
de dispositifs optiques pour observer les
événements lumineux transitoires tout en
mesurant simultanément des émissions
radio de très haute fréquence.
Les prochaines années devraient ainsi
fournir les observations nécessaires pour
mieux comprendre ces aspects nouveaux
de l’activité orageuse, ainsi que l’effet de ces
émissions variées sur l’environnement.